DéfenseNews

Le chemin escarpé mais incontournable de la défense européenne

Combler le déficit de prêts pour les PME

Ces dernières années, les grandes entreprises de défense, les armées nationales et l’Union européenne (UE) ont exprimé de plus en plus d’inquiétudes face au déficit de prêt important et persistant affectant les petites et moyennes capitalisations. Ces entreprises sont essentielles aux chaînes d’approvisionnement qui permettent à l’industrie de la défense de produire plus et plus rapidement. Les sous-traitants de la défense à moyenne capitalisation sont confrontés à des besoins de financement importants dès les premières étapes des contrats, qui impliquent souvent des coûts de développement élevés et peu de revenus compensatoires. Le flux de trésorerie net en « J » des fournisseurs tout au long du cycle de vie du contrat illustre ce besoin essentiel de financement précoce. À mesure que le paysage européen de la défense évolue, un financement encore plus important sera nécessaire pour aider ces entreprises à augmenter leur production, à faire face à des carnets de commandes élevés et à constituer des stocks tampons.

La nécessité d’accroître les investissements

La Commission européenne estime que 500 milliards d’euros supplémentaires devront être investis dans la défense européenne au cours de la prochaine décennie. L’ancien commissaire au Marché intérieur, Thierry Breton, a plaidé en faveur d’un fonds de 100 milliards d’euros pour accélérer la production et la collaboration au sein de l’industrie de défense de l’UE. Les appels publics à l’action, y compris le rapport Draghi de 2024 sur la compétitivité européenne, soulignent à la fois l’ampleur de ce défi et l’opportunité stratégique qu’il représente.

 


 

Ressources insuffisantes et défis liés à l’investissement privé

Alors que divers programmes financiers ont été annoncés par les gouvernements à travers l’Europe pour renforcer la résilience dans le secteur de la défense et soutenir les PME, les ressources publiques seules sont insuffisantes. Les investissements en capital-investissement dans ce secteur ont été modérés en raison des défis liés à la sortie de ces entités stratégiques et hautement réglementées. De plus, les entreprises de défense à moyenne capitalisation ont du mal à obtenir un financement bancaire traditionnel en raison de leurs besoins financiers complexes et de leur image négative en matière de durabilité. Ces difficultés ont créé un important déficit de prêts.

Fragmentation de l’écosystème européen de défense

L’écosystème européen des PME dans le secteur de la défense est très fragmenté et généralement structuré le long des frontières nationales. Une enquête menée en 2022 par le Coordinated Annual Review on Defense (CARD) a révélé que seulement 18 % des investissements dans les programmes de défense étaient collaboratifs, ce qui indique que la coopération reste l’exception plutôt que la norme. Pour remédier à ce manque de cohésion et renforcer l’efficacité et la résilience de l’industrie européenne de défense, des initiatives transfrontalières ont vu le jour.

Efforts de collaboration : le Fonds européen de défense et l’OCCAR

Le Fonds européen de défense (FED) fonctionne comme le mécanisme de la Commission pour promouvoir les activités de recherche et de développement dans le domaine de la défense, avec un budget de 2,7 milliards d’euros pour la recherche collaborative en matière de défense et 5,3 milliards d’euros pour des projets collaboratifs de développement capacitaire qui complètent les contributions nationales. Le soutien financier est principalement offert sous forme de subventions, qui peuvent couvrir jusqu’à 100 % des coûts éligibles, en fonction des activités concernées, avec un système de bonus qui prend en compte les PME, les ETI et les connexions aux projets de coopération structurée permanente (CSP).

L’OCCAR, l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement, est une autre initiative visant à renforcer la collaboration européenne en matière d’équipements de défense. Créé en 1996 par l’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni, l’OCCAR facilite et gère des programmes d’équipements de défense collaboratifs entre les pays européens en mettant en commun leurs ressources, leur expertise et leur technologie. Son conseil de surveillance comprend les ministres de la Défense de six États membres (dont la Belgique et l’Espagne ayant rejoint les membres fondateurs), ainsi que des États participants non membres et des pays observateurs.

Projets CSP : renforcement de la coopération entre les États membres

À l’heure actuelle, 68 projets sont en cours d’élaboration dans le cadre de la CSP, chacun étant porté par divers États membres participants. Ces projets couvrent de multiples domaines, notamment la formation, les activités terrestres, maritimes, aériennes, cybernétiques et interarmées, et visent à renforcer la coopération et les capacités entre les États membres de l’UE.

Repenser les stratégies de la chaîne d’approvisionnement : du JAT au JIC

L’évolution vers des conflits de haute intensité a mis en évidence les insuffisances du modèle européen de juste-à-temps (JAT) pour répondre aux exigences opérationnelles et de la chaîne d’approvisionnement modernes. Le modèle JAT, qui tente de réduire les coûts d’inventaire en produisant et en recevant des biens de défense uniquement en fonction des besoins, n’est plus suffisant dans un environnement de guerre de haute intensité. La rapidité d’intervention et la flexibilité sont cruciales, mais l’accent mis par le modèle JAT sur des niveaux de stock minimaux peut entraîner des réserves insuffisantes et des temps de réponse plus lents en cas d’urgence.

Avant la résurgence des conflits en 2022, le système de défense européen a été optimisé pour la production en temps de paix, en maintenant de faibles niveaux de stocks et en ne produisant des biens qu’en cas de besoin. Cette approche était adaptée à un environnement géopolitique relativement bénin et a permis de réaffecter les dépenses de défense vers le bien-être et l’éducation, ce que l’on appelle le dividende de la paix. Cependant, le paysage géopolitique actuel exige de passer d’un modèle juste-à-temps à un modèle juste-à-cas (JIC) qui privilégie le maintien de réserves de stocks substantielles pour être prêt à faire face aux menaces potentielles.

Une approche globale pour une industrie de la défense résiliente

En conclusion, pour relever les défis auxquels est confronté le secteur européen de la défense, il faut adopter une approche globale qui comprend des investissements accrus, une collaboration renforcée et un changement fondamental des stratégies de la chaîne d’approvisionnement. Le chemin vers une industrie européenne de la défense plus résiliente et plus efficace est escarpé, mais nécessaire pour répondre aux exigences d’un environnement de sécurité en évolution.