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Les gaz verts et la chaleur renouvelable : des incontournables pour la Transition Energétique

Auteurs :

  • L’équipe de Gestion Transition Energétique – Expertise Dette Privée, Sienna Investment Managers
  • Bernard Blez, Consultant Senior – ancien directeur R&D chez Engie

Quand on parle de décarboner le secteur énergétique, on pense immédiatement aux solutions de production d’électricité renouvelable, notamment le solaire photovoltaïque (PV) et l’éolien. Ces deux énergies décarbonées sont en plein essor, et grâce à elles, on pourra faire une partie du chemin vers la décarbonation de l’énergie. Mais il existe d’autres sources d’énergies primaires renouvelables dont on parle moins et qui ont également un rôle déterminant à jouer dans la Transition Energétique. Il s’agit notamment de la biomasse, qui permet de produire du biogaz et de la chaleur renouvelable, et de la géothermie. Ces énergies renouvelables sont disponibles à tout instant et en toutes saisons et facilement stockables, ce qui constitue un avantage de poids pour soulager les réseaux électriques lors des pointes de consommation d’hiver par exemple. Associées aux technologies matures de stockage de la chaleur, elles constituent une réponse très complémentaire aux énergies électriques renouvelables pour décarboner les usages thermiques de l’énergie. Tour d’horizon.

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  1. Pourquoi le solaire PV et l’éolien ne suffisent pas ?

Le solaire PV et l’éolien ont accéléré leur développement de manière spectaculaire ces dernières années. Sur la seule année 2023, c’est plus de 510 GW de nouvelles capacités de production renouvelables qui ont été connectées aux réseaux électriques dans le monde. En Europe, l’électricité renouvelable a couvert en 2023 pas moins de 44% de l’électricité consommée. Selon l’AIE, les perspectives de développement du PV et de l’éolien dans le monde sont dorénavant en ligne avec le scénario NetZero 2050. Tout cela, ce sont d’excellentes nouvelles pour la Transition Energétique !
Mais il y a un « MAIS ». Croire que ces deux énergies renouvelables sont l’Alpha et l’Oméga de la Transition Energétique serait une erreur. Car elles ont toutes les deux trois inconvénients qu’il va falloir compenser pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris :

  • Ce sont des énergies intermittentes, disponibles uniquement quand il y a du soleil ou du vent, pas toujours quand il y a une forte demande d’électricité
  • L’électricité n’est pas facilement stockable, et les batteries ne pourront couvrir qu’une partie des besoins de stockage.
  • Et enfin, développement massif du solaire et de l’éolien pose des problèmes de stabilité des réseaux.

Le premier inconvénient peut être compensé en partie par le développement d’une autre source d’électricité décarbonée : le nucléaire. Mais le parc Européen (notamment français) est ancien et actuellement insuffisant pour couvrir les besoins futurs en électricité décarbonée. Et la construction de nouvelles centrales nucléaires prendra du temps : avec un délai d’une quinzaine d’années entre la décision d’engagement et la mise en service de la centrale, ces nouvelles capacités de production d’énergie décarbonée non intermittente n’arriveront pas avant 2035/2040. Seule la Chine qui a des délais plus rapides de construction devrait pouvoir avancer plus vite.

Deuxième problème : celui de la difficulté de stocker l’électricité pour compenser l’intermittence de l’éolien et du PV. Les deux technologies matures qui permettent de le faire sont d’une part les stations de turbinage et de pompage hydrauliques (STEP) et, d’autre part, les batteries. Les STEP constituent une solution éprouvée et efficace, mais la grande majorité des sites aménageables en Europe sont déjà équipés. Et avec les technologies actuelles de batteries, on ne peut stocker que quelques heures de production des grandes centrales PV ou éoliennes (les plus grands projets de batteries réseau en service stockent à peine plus de deux ou trois heures de production).
Enfin, le problème d’instabilité des réseaux électriques en présence de plus de 50% de production PV ou éolienne provient d’une limitation liée à la physique des grands réseaux électriques. Ceux-ci, pour être stables, nécessitent d’être alimentés par des machines tournantes de grande puissance (les alternateurs des grosses centrales thermiques) qui ont une grande inertie de rotation. En cas de pointe d’appel de puissance, l’inertie de ces grands alternateurs évite à la machine de ralentir et absorbe sans problème la pointe, sans baisse de vitesse de rotation, donc de fréquence. Au contraire, quand il y a une majorité de panneaux PV ou d’éoliennes, ceux-ci n’apportent pas le moment d’inertie salutaire des grandes centrales thermiques. La stabilité doit alors être créée artificiellement en ajoutant des batteries. C’est pourquoi il est indispensable d’installer en même temps que le PV et l’éolien des batteries sur le réseau qui permettent, en stockant et déstockant l’énergie pendant des courtes durées, d’assurer la stabilité nécessaire. Ces mêmes batteries permettent également, comme vu plus haut, de stocker pendant quelques heures l’électricité renouvelable excédentaire.
C’est bien ce qu’a compris le marché ! La dernière étude de l’AIE sur les batteries stationnaires (« Batteries and Secure Energy Transition », IEA, 2024) montre à quel point les batteries pour le réseau se développent actuellement à grande vitesse (voir figure ci-dessous).Capturete

Le rythme de développement est amené à croître encore de manière considérable : dans le scénario Net Zero (NZE), il doit être multiplié par 35 entre 2022 et 2030 pour atteindre près de 970 GW ! Environ 170 GW de capacité devraient être ajoutés rien qu’en 2030, contre 11 GW en 2022 et 26 GW en 2023. Et bien entendu, un tel développement exponentiel pose le problème de la disponibilité des ressources en matières premières, notamment le lithium.

En résumé, la décroissance des énergies fossiles repose aujourd’hui en grande partie sur le développement de l’électricité éolienne et photovoltaïque. Cela conduit à prévoir des investissements massifs dans les capacités de stockage par batteries sur les réseaux électriques, avec un risque de goulet d’étranglement sur les matières premières nécessaires, notamment le lithium. Pour diversifier les sources d’énergie renouvelables, il est urgent de considérer d’autres solutions possibles, notamment celles des énergies renouvelables non intermittentes et du stockage thermique.

2. Le biogaz et le biométhane

Biogaz et biométhane font partie des énergies renouvelables non intermittentes particulièrement intéressantes pour la Transition Energétique, car elles permettent de décarboner tous les usages du gaz naturel, y compris ceux pour lesquels le passage à l’électricité est difficile ou impossible (certains process thermiques industriels, les transports lourds…) sans accroitre la demande en électricité renouvelable.

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2.1. La méthanisation

En parallèle, la course à la taille continue. Equinor a annoncé la mise en service d’un parc éolien flottant de 88 MW en Écosse. Cette installation, inaugurée en 2023, est le plus grand parc éolien flottant au monde. Et le constructeur Vestas, qui travaillait sur une nouvelle turbine éolienne offshore de 15 MW ayant une capacité de production de 50 % supérieure à celle de la génération précédente, vient de signer en 2023 sa première installation dans un parc éolien offshore flottant en Corée du Sud.
Le biométhane aujourd’hui est majoritairement produit par méthanisation des déchets humides : résidus agricoles, déchets d’industries agro-alimentaires (industrie laitière…), ordures ménagères, boues de station d’épuration…etc… Les intrants, après pré-conditionnement, sont introduits dans un méthaniseur, dans lequel se produit la réaction biologique de fermentation qui génère un gaz riche en méthane : le biogaz. Ce gaz est ensuite épuré pour le transformer en méthane conforme aux spécifications de pureté imposées par les gestionnaires de réseau gaz, ce qui permet de l’injecter dans les réseaux : on parle alors de biométhane. En parallèle, le procédé de méthanisation produit un résidu contenant toute la matière inerte non méthanisable : le digestat. Ce-dernier est généralement valorisé comme engrais naturel, ce qui permet de diminuer d’autant l’usage d’engrais synthétiques produits à partir d’énergies fossiles et d’apporter un complément de revenu qui s’ajoute au fruit de la vente du biométhane.
Le biométhane ainsi produit peut se substituer au gaz naturel fossile pour toutes ses utilisations : process thermiques à flamme, véhicules au gaz naturel (bus, bennes à ordures ménagères, camions de livraison…), et a l’avantage considérable d’être une énergie stockable et non intermittente. Le producteur peut vendre directement sa production de biométhane dans le cadre du dispositif subventionné des tarifs d’injection ou – depuis peu – dans le cadre d’un contrat de gré à gré directement avec un industriel (via l’entremise d’un agrégateur) sous forme d’un Biomethane Purchase Agrement (BPA), copie conforme des PPA électriques, adaptée aux spécificités du biométhane.
Pour éviter les coûts liés à l’épuration, certains producteurs valorisent directement la production de biogaz brut, sans l’épurer pour le transformer en biométhane injectable. Le biogaz peut en effet être utilisé pour produire de la chaleur et de l’électricité à travers une cogénération (les moteurs utilisés pour la cogénération sont souvent compatibles avec le biogaz non ou faiblement épuré), ou directement dans une chaudière ou un four industriel non sensible à la qualité du gaz. Dans ce cas, la production de biogaz est faite sur le site de son utilisation. Suivant les pays et les régions, c’est soit le biogaz brut qui est valorisé en électricité et chaleur (cas de l’Allemagne et des Etats-Unis), soit il est transformé en biométhane pour injection dans les réseaux (cas de la France) comme le montre la figure ci-dessous :Capturete3

La production mondiale combinée de biogaz et de biométhane a atteint plus de 1,6 EJ en 2022, soit une augmentation de 17 % par rapport à 2017. Près de la moitié de la production est basée en Europe, l’Allemagne couvrant à elle seule près de 20 % de la consommation mondiale. 21 % supplémentaires sont produits en Chine, suivi des États-Unis (12 %) et de l’Inde (9 %).
Bien que les coûts de production du biométhane soient généralement plus élevés que ceux du gaz naturel, le biométhane n’est pas soumis à la volatilité des prix dont souffre le gaz naturel et, pendant la crise énergétique, son prix était inférieur en Europe et en Asie (figure ci-dessous) :Te4

Par rapport à la période 2017-2022, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) prévoit une accélération de la croissance de cette énergie, passant de 19 % en 2017-2022 à 32 % en 2023-2028, grâce à l’adoption de nouvelles politiques volontaristes dans plus de 13 pays en 2022-2023. La croissance la plus importante se produira en Europe et en Amérique du Nord, d’une part grâce aux infrastructures et à l’expérience établies, et d’autre part grâce aux politiques antérieures qui rendent possible un déploiement rapide sur une période de cinq ans.
Les avantages que voit l’AIE à cette filière sont nombreux : il s’agit d’une énergie verte non intermittente, disponible partout où il y a de la biomasse, dont le coût de production est indépendant des prix spots du gaz et de l’électricité ; elle contribue par ailleurs au traitement des déchets et apporte des revenus complémentaires à la filière agricole.

2.2. Les autres technologies pour produire du biogaz ou du biométhane

D’autres technologies permettent ou permettront de produire du biogaz ou du biométhane, à partir d’autres types d’intrants, contribuant ainsi à l’accroissement de la production de ces gaz renouvelables souhaitée par l’AIE. On peut notamment citer la récupération du gaz de décharge, la pyrogazéification de la biomasse sèche ou la gazéification hydrothermale des boues de stations d’épuration.
Concernant la récupération des gaz de décharges, la société Waga Energy déploie depuis quelques années une technologie brevetée d’épuration, commercialisée sous le nom de WAGABOX®. Cette technologie qui combine la filtration membranaire et la distillation cryogénique permet de produire un biométhane compatible avec une injection dans le réseau de distribution du gaz naturel, quelles que soient les concentrations d’azote et d’oxygène présents initialement dans le gaz brut. Une vingtaine de projets de ce type sont en exploitation en Europe et aux Etats-Unis.
La technologie de pyrogazéification de biomasse sèche permet de valoriser énergétiquement d’autres types de biomasse : il s’agit de déchets de bois (plaquettes forestières, déchets d’industries de l’ameublement ou du papier…) ou de Combustibles Solides de Récupération (CSR) ; elle n’est donc pas en compétition de ressources avec la filière classique de méthanisation. Si la production de biogaz à faible pouvoir calorifique par pyrogazéification est une technologie rustique déjà commercialisée pour des applications de décarbonation de la chaleur sur sites industriels, la production par pyrogazéification de biométhane injectable dans les réseaux est en revanche beaucoup moins mature. En effet, pour générer un biogaz destiné à être amené au niveau de pureté requis pour l’injection, le procédé de pyrogazéification doit avoir lieu en absence totale d’air, ce qui complique grandement le process de fabrication. On compte un petit nombre de projets de ce type dans le monde, tous à l’état de pilotes ou de démonstrateurs. A noter qu’ENGIE a développé sa propre technologie dans ce domaine, qui sera utilisée dans une première installation industrielle de production de biométhane de grande puissance (20 MW environ) destinée à alimenter en biométhane l’armateur CMA-CGM : c’est le projet Salamandre. Sa mise en service est prévue en 2027.
Enfin, la gazéification hydrothermale des boues est une technologie émergente, encore au stade de la R&D. Elle permettra de transformer en biométhane des effluents industriels ou de stations d’épuration très dilués (boues), avec un haut niveau de rendement (plus de 75%), grâce à un procédé thermochimique à haute température et haute pression. Depuis 2020, une unité pilote est installée dans les locaux du Paul Scherrer-Institute (PSI) à Villigen, en Suisse.

3. La géothermie : pourquoi consommer de l’électricité ou du gaz pour faire de la chaleur quand de l’eau chaude est présente naturellement en sous-sol ?

L’énergie géothermique est une source d’énergie renouvelable durable, rentable et indépendante des conditions météorologiques. Selon l’IRENA (International Renewable Energy Agency) la géothermie peut contribuer à stabiliser les réseaux électriques, compensant en partie les risques liés au déploiement rapide des énergies renouvelables variables (éolienne et solaire). En fonction de la profondeur de la source géothermique et de ses caractéristiques, elle peut servir à produire de la chaleur, du froid ou de l’électricité renouvelable.

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La géothermie de surface (à une profondeur inférieure à 200 m de profondeur) permet de produire de la chaleur à l’aide d’une pompe à chaleur mais également du froid. À ces profondeurs, ce n’est pas la température élevée du sous-sol que l’on valorise, mais plutôt sa stabilité au cours des saisons (plus chaud que l’air ambiant en hiver, plus frais en été). Associée à une pompe à chaleur, elle permet de récupérer l’énergie à température intermédiaire emmagasinée dans le sous-sol, faisant ainsi « gratuitement » une partie du chemin nécessaire pour chauffer ou refroidir le circuit de climatisation d’un bâtiment. Ainsi, le coefficient de performance des pompes à chaleur pour le chauffage ou la climatisation des bâtiments s’en trouve sensiblement renforcé par rapport aux pompes à chaleur qui se contentent de puiser leur énergie gratuite dans l’air ambiant. La géothermie de surface peut être installée partout, à l’exception des zones où le sous-sol est trop encombré.
Avec la géothermie profonde (entre 201 et 2000 m), nous allons chercher de l’eau chaude ou de la vapeur entre 90 et 150 °C dans les profondeurs du sous-sol. En fonction de la température de la source géothermique, on peut utiliser cette énergie pour un chauffage urbain ou pour produire de l’électricité et de la chaleur (cogénération). Ces sources géothermiques profondes ne sont pas présentes partout, mais nous avons la chance qu’elles le soient dans une grande partie de l’Ile de France. Par exemple la nouvelle centrale géothermique de Saint-Denis (93) inaugurée en décembre 2023 par la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher, alimentera le village olympique, puis chauffera l’équivalent de 7.500 logements.
Les principaux défis de la géothermie reposent sur la longueur des délais de développement de projets, l’importance des dépenses initiales importantes en capital et les risques élevés au cours des premières phases d’exploration. Ces défis sont liés aux difficultés d’accès au financement, à la complexité des cadres réglementaires fragmentés, à la longueur des procédures d’autorisation et à un manque de personnel qualifié. L’acceptation du public est par ailleurs un défi, principalement en raison du manque d’informations sur la technologie géothermique et les préoccupations concernant l’utilisation des terres et les impacts environnementaux et sociaux.
Malgré ces obstacles – surmontables – et compte tenu du regain d’intérêt pour la chaleur renouvelable et pour les sources d’énergies renouvelables commutables dans le sillage de la crise énergétique, l’UE a augmenté son objectif global en géothermie, en appelant en mai 2022 à tripler la part de la géothermie dans la demande énergétique totale de l’UE d’ici 2030.
Le nord de l’Allemagne, les Pays-Bas et la Belgique sont en particulier des sites potentiels clés pour l’approvisionnement en énergie géothermique. En France, les demandes de permis de recherche en géothermie profonde ont doublé en 2023, portant à six le nombre de ces projets d’un coût initial élevé mais rentables pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le gouvernement français encourage ce mouvement à travers son plan de relance (le « plan national d’action pour la géothermie », lancé en février 2023).

4. La récupération de la chaleur fatale… ou la chaleur de seconde main !

Comme décrit précédemment, biogaz et géothermie sont deux bons moyens de couvrir une partie des besoins en énergie thermique sans passer par les réseaux électriques. Mais il en existe un autre : utiliser partout où ils existent les excédents de chaleur disponibles chez ceux qui la rejettent dans l’environnement. C’est ce qu’on appelle la récupération de chaleur fatale.67
Certaines utilisations de l’énergie nécessitent un refroidissement des équipements, généralement réalisé par des machines de production de froid associées à des dispositifs passifs qui rejettent la chaleur excédentaire dans l’atmosphère ou dans les rivières. Le principe de la récupération de chaleur fatale a pour but de capter cette chaleur excédentaire et de la mettre à disposition d’un autre utilisateur, interne ou externe à l’entreprise qui la produit, pour couvrir d’autres besoins énergétiques.
Un exemple très parlant est celui des centres de calculs. Ce sont de très gros consommateurs d’électricité, et toute l’énergie qu’ils consomment se retrouvent in fine en chaleur qu’il faut évacuer. La chaleur peut être facilement récupérée à travers des échangeurs classiques et injectés par exemple dans un réseau de chaleur urbain. Ainsi, au lien d’avoir, d’un côté, des aéroréfrigérants et des machines frigorifiques évacuant la chaleur du centre de calcul, et de l’autre des chaufferies gaz qui délivrent la chaleur pour chauffer un quartier, cette dernière fonction est directement assurée par la chaleur fatale récupérée dans le centre de calcul. L’énergie qui alimente les ordinateurs est donc utilisée in fine deux fois !
De nombreuses réalisations de ce type sont d’ores et déjà opérationnelles un peu partout dans le monde. Elles sont amenées à se développer avec l’augmentation du prix des énergies.
Ce type de solution peut également être utilisée dans l’industrie, ou différents dispositifs permettent de récupérer de la chaleur à plus ou moins haute température pour un deuxième usage sur le site industriel lui-même ou pour couvrir un besoin thermique chez un industriel voisin. Par exemple, les blanchisseries industrielles récupèrent assez simplement la chaleur des eaux en fin de lavage pour préchauffer les eaux de prélavage, et gagner ainsi 30% de consommation. De même, dans les secteurs de la métallurgie ou du verre, la récupération de chaleur fatale à haute température sur les fours industriels est monnaie courante.
Il est important de souligner que les technologies de récupération de chaleur fatale à haute température ou à basse température pour des usages chauffage, sont déjà matures et largement commercialisées (brûleurs régénératifs, échangeurs thermiques…). C’est moins le cas lorsqu’on veut récupérer de la chaleur fatale à basse température pour alimenter des applications industrielles à hautes températures avec des puissances importantes ; il faut alors avoir recours à des technologies de pompes à chaleur très spécifiques, pas toujours disponibles sur le marché.

5. Le stockage de chaleur : plus simple et moins cher que stocker de l’électricité

Rappelons enfin que la chaleur se stocke très bien, y compris sur plusieurs mois. Lorsqu’on produit de la chaleur avec de l’électricité renouvelable (par exemple avec une pompe à chaleur), il peut être très intéressant de faire fonctionner la pompe à chaleur en-dehors des pointes, et de stocker la chaleur pour l’utiliser lorsqu’on en a besoin. Il en est de même lorsqu’on veut stocker de la chaleur fatale produite en continu par un process industriel ou un centre de calcul, pour l’utiliser en hiver.77
Trois familles de techniques de stockage de chaleur existent, par ordre de densité de stockage (kWh/m3) croissante : l’élévation de température d’un matériau (stockage de chaleur sensible), le changement d’état d’un matériau (stockage de chaleur latente de changement de phase) ; et une réaction chimique entre plusieurs composés (stockage thermochimique). Pour le stockage de chaleur à grande échelle (réseau de chaleur, grand bâtiment tertiaire, industrie), le stockage de chaleur sensible est le plus simple à mettre en oeuvre. Il utilise souvent le sous-sol, avec de nombreuses variantes : sondes enterrées, réservoirs de stockage souterrains, fosse semi-enterrée, nappe aquifère, etc.
La technologie des sondes enterrées convient particulièrement bien à des bâtiments tertiaires neufs. C’est par exemple la technologie qu’a choisie ENGIE pour son siège social à Bruxelles, qui comporte sous le bâtiment 180 puits de 86m de profondeur, pouvant stocker jusqu’à 1,4 GWh de chaleur ou de froid, sous forme d’eau chaude ou d’eau glacée. Ce système, peu onéreux à mettre en place lors des travaux de creusement des fondations d’un nouvel immeuble, permet de découpler complètement la consommation d’électricité pour produire le chaud ou le froid et la période de consommation, tout en optimisant également l’autoconsommation de ses panneaux PV.
De nombreuses variantes d’application de ces technologies existent sous différentes formes, avec comme avantages de pouvoir optimiser l’utilisation de la production solaire thermique ou photovoltaïque, la valorisation de la chaleur fatale et d’éviter les consommations électriques en heures de pointe des pompes à chaleur.

6. Synthèse et conclusion

La décarbonation par le tout-électrique renouvelable est une solution formidable pour décarboner une partie du mix énergétique mondial, mais qui a ses limites liées à la nécessité de disposer en permanence d’énergie commutable décarbonée et à la difficulté de stocker de l’électricité. Même dans les pays qui ont choisi de développer ou redévelopper le nucléaire, on ne pourra pas se passer des gaz renouvelables ou de la chaleur renouvelable, car les besoins à court terme en électricité décarbonée sont en telle croissance que l’on risque de provoquer des goulets d’étranglement comme la disponibilité des matières premières (lithium, cuivre, cobalt…), l’insuffisance des outils de production (gigafactories de batteries), ou tout simplement l’insuffisance des capacités de financement non infinies de ces nouvelles infrastructures.
Dans une logique de mitigation des risques, il est raisonnable d’appeler à la diversification des solutions de décarbonation, notamment en développant en parallèle les vecteurs énergétiques comme le biogaz ou le biométhane, la géothermie et la chaleur renouvelable, associées autant que de besoin à du stockage de la chaleur. Ces technologies sont pour la plupart matures, et peuvent être mises en oeuvre dès maintenant, sans attendre les autres solutions qui émergeront à moyen ou long terme comme l’hydrogène bas-carbone, la capture et la séquestration du CO2 (CCS) ou les nouvelles technologies de stockage de l’électricité (batteries solides, stockage à air liquide ou à air comprimé…etc…).

L’équipe de Gestion Transition Energétique – Expertise Dette Privée, Sienna Investment Managers
Bernard Blez, Consultant Senior – ancien directeur R&D chez Engie

Bibliographie :

  • « Batteries and Secure Energy Transition », IEA report, 2024
  • « Net Zero Roadmap – A Global Pathway to Keep the 1.5 °C Goal in Reach» – IEA publication 2023 Update
  • “Clean Energy Market Monitor” – IEA report – March 2024
  • « Le stockage inter-saisonnier de chaleur – un atout pour le climat et la souveraineté » – Académies des Technologies – décembre 2023