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Technologies innovantes pour la Transition Energétique : les avancées 2023

Auteurs :

  • L’équipe de Gestion Transition Energétique – Expertise Dette Privée, Sienna Investment Managers
  • Bernard Blez, Consultant Senior – ancien directeur R&D chez Engie

 

La COP 28 à Dubaï en décembre 2023 l’a encore démontré de manière éclatante : la transition vers une économie décarbonée n’avance pas assez vite. Pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, l’effort à réaliser est encore énorme : il faut multiplier par trois la vitesse mondiale de déploiement des énergies renouvelables et par deux les efforts en matière d’efficacité énergétique, le tout avant 2030. Et pour se passer progressivement des énergies fossiles, il faut pouvoir stocker les énergies renouvelables intermittentes de manière massive et disposer de suffisamment d’énergies décarbonées sous forme liquide ou gazeuse. Sur tous ces sujets, de nombreuses solutions techniques existent déjà, heureusement, mais leurs performances et leur coût doivent encore être améliorées sensiblement pour pouvoir les  déployer à l’échelle massive permettant d’atteindre le NetZero. Les travaux de R&D dans tous ces domaines sont nombreux, et de leurs avancées dépendra notre capacité à atteindre collectivement les objectifs de l’accord de Paris.

Tour d’horizon des principales avancées de l’année 2023 sur les nouvelles technologies clés pour la Transition Energétique.

1. Photovoltaïque : la cible de 30% de rendement à portée de main

Depuis le début de la décennie, les chercheurs se sont donné pour objectif d’augmenter sensiblement le rendement des cellules PV sans en augmenter les coûts, en passant de 20% (rendement moyen actuel sur les cellules bon marché, hors technologies pour le spatial) à 30%. L’enjeu est de taille, car cela permettrait, pour une même surface utilisée, d’augmenter de 50% l’énergie produite. Aujourd’hui, cet objectif parait à portée de main, avec plusieurs avancées significatives obtenues en 2023.

L’INES a atteint cette année un rendement de 25% avec des cellules hétérojonction (également appelée « SJT » pour «Silicon heterojunction »). Cette technologie offre des avantages clés : rendement de conversion élevé, coefficient de température favorable, procédé simple compatible avec des coûts de production compétitifs et possibilité de faire des panneaux bifaces améliorant la productivité finale.

Encore mieux : l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), en collaboration avec le Centre Suisse d’Innovation (CSEM), a franchi la barre des 30% de rendement avec ses cellules en tandem pérovskite-silicium. Ce résultat a été homologué de manière indépendante par le National Renewable Energy Laboratory (NREL) aux États-Unis.

2. Eoliennes : plus grandes et plus durables

Malgré les difficultés conjoncturelles du secteur, les efforts de R&D dans l’éolien restent importants, notamment dans les domaines des éoliennes flottantes, des éoliennes à axe vertical et des éoliennes terrestres à haute altitude. Ces technologies présentent des avantages déterminants : une plus grande capacité de production d’électricité, une plus grande adaptabilité aux conditions environnementales et une moindre empreinte au sol.

En parallèle, la course à la taille continue. Equinor a annoncé la mise en service d’un parc éolien flottant de 88 MW en Écosse. Cette installation, inaugurée en 2023, est le plus grand parc éolien flottant au monde. Et le constructeur Vestas, qui travaillait sur une nouvelle turbine éolienne offshore de 15 MW ayant une capacité de production de 50 % supérieure à celle de la génération précédente, vient de signer en 2023 sa première installation dans un parc éolien offshore flottant en Corée du Sud.

Signalons enfin des avancées importantes dans la recyclabilité des pales, l’élément le plus complexe à recycler dans une éolienne. Lancé en septembre 2020, le projet ZEBRA (Zero wastE Blade ReseArch), qui regroupe un consortium piloté par l’institut de recherche technologique (IRT) Jules Verne, avait pour ambition de démontrer la pertinence technique, économique et environnementale de pales d’éoliennes en thermoplastique réalisées à l’échelle 1, dans une démarche d’éco-conception qui facilite le recyclage. Après un peu plus d’une année de développement, de tests des matériaux et d’essais de procédés, la plus grande pale thermoplastique au monde de 62 mètres, recyclable, à base de la résine liquide Elium® développée par Arkema, a été conçue et réalisée sur le site LM Wind Power à Pondeferrada en Espagne. Les matériaux composites réalisés avec cette résine offrent les mêmes performances que celles des résines thermodurcissables avec un avantage unique : la recyclabilité. Celle-ci se fait en utilisant une méthode avancée de recyclage chimique qui permet de dépolymériser complètement la résine, de séparer la fibre de la résine et de récupérer une nouvelle résine vierge et des fibres de verre à haute performance prêtes à être réutilisées.

3. L’énergie nucléaire : un regain d’intérêt pour les Small Modular Reactors… et des avancées historiques sur la fusion

Dans le domaine de l’énergie nucléaire, la fusion est le graal : contrairement à la fission, qui vise à casser un noyau lourd en noyaux plus légers, la fusion assemble des noyaux légers (deux formes d’hydrogène : le deutérium et le tritium) pour former un noyau plus lourd (l’hélium). Fission et fusion ont en commun de libérer une énergie énorme, près d’un million de fois plus grande que l’énergie libérée lors de la combustion dans un moteur. L’intérêt de la fusion est qu’il n’a pas les deux inconvénients majeurs de la fission : le difficile contrôle de la réaction (qui pose tous les problèmes de sécurité que l’on connait), et la production de déchets radioactifs à longue durée de vie. Mais la fusion est encore au stade de la recherche fondamentale, avec un horizon d’industrialisation lointain (plusieurs dizaines d’années). En effet, elle nécessite, pour amorcer la réaction nucléaire, des énergies extrêmement élevées, jusqu’à présent plus élevées que l’énergie libérée par la réaction elle-même.

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En décembre 2022, les scientifiques du National Ignition Facility (NIF) ont annoncé une « percée historique » dans le domaine de la fusion. Ils ont réussi, pour la première fois, à libérer plus d’énergie par des réactions de fusion que celle nécessaire pour les provoquer (« break-even »).

En 2023, une nouvelle étape expérimentale a été franchie. Le Japon et l’Europe (projet ITER) ont inauguré le plus grand réacteur expérimental à fusion nucléaire du monde au National Institute for Quantum Science and Technology (QST), au nord de Tokyo. Dans une machine haute de cinq étages, sorte de sphère autour d’un tore géant, les chercheurs japonais et européens viennent de réussir à générer, pour la première fois et pendant dix secondes le plasma – un nuage de gaz ionisé – nécessaire à l’amorçage de la fusion nucléaire. La température du plasma est de plus de 15 millions de degrés Celsius. Si plusieurs pays ont déjà réussi à créer du plasma, aucun n’avait encore réussi à en produire dans d’aussi grandes quantités, avec un volume record de 160 mètres cubes. La génération de ce plasma doit permettre d’affiner les technologies utilisées dans ITER, le réacteur de fusion expérimental, deux fois plus grand, en cours de construction à Cadarache, en France, dans le cadre d’un projet de coopération internationale regroupant l’Union européenne et le Japon, la Chine, la Corée du Sud et les Etats-Unis.

On est encore très loin d’applications industrielles, mais ces avancées sur la fusion sont historiques.

Dans un registre moins disruptif, les conséquences de la guerre en Ukraine dans le domaine de l’énergie ont relancé l’intérêt pour les petits réacteurs nucléaires modulaires (SMR en anglais). Le gouvernement français a annoncé sa volonté de lancer la construction d’un prototype de SMR avant la fin de la décennie 2030. En juin 2023, le gouvernement avait alloué respectivement 10 et 15 millions d’euros aux start-up Naarea et Newcleo. Au mois de décembre 2023, à l’occasion du World Nuclear Exhibition à Paris, le gouvernement a annoncé que six nouvelles start-ups vont bénéficier de fonds publics pour accélérer leurs développements. Elles recevront 77,2 millions d’euros de subventions et pourront en outre bénéficier d’un soutien du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) pour éprouver leurs technologies à hauteur de 18,9 millions d’euros.

C’est la start-up Jimmy qui se taille la part du lion des subventions allouées (32 M€). Son réacteur à haute température pour produire de la chaleur industrielle décarbonée est le plus mûr techniquement. Les autres start-up candidates proposent des technologies variées pour produire de l’électricité : mini-réacteur à eau pressurisée ; microréacteur à sels fondus et à neutrons rapides fonctionnant à partir de combustibles ayant déjà été irradiés ; ou réacteur à neutrons rapides refroidi au plomb. L’application de toutes ces technologies à l’échelle d’un SMR nécessite encore beaucoup d’efforts de R&D.

4. Stockage d’électricité : des progrès incrémentaux réels sur les batteries classiques, mais la R&D patine sur les batteries solides

La technologie des batteries Li-Ion continue à progresser : baisse des coûts, mais aussi augmentation des capacités de stockage par unité de volume et de poids. Ces deux dernières caractéristiques sont clé pour les applications aux véhicules électriques.

Les progrès des batteries Li-Ion sont rapides. Leurs caractéristiques ont évolué en une dizaine d’années de 100 à 250 Wh/kg en termes d’énergie spécifique, et leur densité volumique est passée de 100 Wh/litre à 450 Wh/litre. Les efforts de R&D importants menés par tous les acteurs du domaine, devraient conduire à dépasser les 300 Wh/kg et 600 Wh/litre.

Une autre technologie gagne en maturité : les batteries Sodium-Ion. Elles ont l’avantage de ne pas nécessiter de Lithium (matière première critique), mais ont l’inconvénient d’avoir une densité énergétique plus faible que la technologie Li-Ion. Elles sont particulièrement intéressantes pour les petits véhicules électriques peu onéreux. L’année 2023 voit se concrétiser les promesses de 2022, avec des premières réalisations commerciales de batteries Sodium-Ion prometteuses.  Les annonces de nouveaux produits se multiplient de la part des nouveaux venus comme des acteurs établis. Par exemple le développeur et fabricant de systèmes de batteries Acculon Energy, basé aux États-Unis, a commencé en 2023 la production en série de ses modules et packs de batteries sodium-ion et a dévoilé des plans pour étendre sa production à 2 GWh d’ici la mi-2024.

Le constructeur automobile Stellantis, quant à lui, croit aux batteries Li-Soufre. Il vient d’investir dans une start-up spécialisée dans cette technologie, basée dans la Silicon Valley. Elle a développé une solution qui vise une densité d’énergie deux fois supérieure à celle du lithium-ion, grâce à une cathode sans nickel-manganèse-cobalt, avec un élément bon marché, abondant et moins polluant : le souffre.

Mais la technologie de rupture attendue par tous est la batterie solide. Start-ups et grands constructeurs automobiles, ou géants chinois de la batterie, travaillent sur cette technologie car tous veulent être les premiers à trouver la batterie qui offrira aux voitures électriques rapidité de recharge et autonomie de 1.000 kilomètres. Mais jusqu’à présent, on ne constate pas d’avancée majeure malgré les efforts, et aucun résultat significatif n’est attendu avant 2030.

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5. L’hydrogène pour décarboner l’industrie lourde et la mobilité : des efforts de R&D encore nécessaires sur toutes les technologies… et la perspective encore incertaine d’une rupture technologique majeure : l’hydrogène naturel

L’hydrogène bas carbone est une solution potentiellement très séduisante pour décarboner l’industrie lourde, notamment les procédés qui ne peuvent pas être électrifiés, et la mobilité lourde, difficilement électrifiable avec des batteries car trop lourdes et trop volumineuses pour fournir l’énergie et l’autonomie nécessaires à des véhicules lourds. Pour développer cette nouvelle filière à l’échelle industrielle, il faut disposer de solutions performantes et économiques sur l’ensemble des maillons de la chaine de valeur de l’hydrogène bas carbone : production, transport, stockage et utilisations sur les deux grands marchés visés. Aujourd’hui, la maturité des technologies correspondantes est très variable.

5.1. Produire de l’hydrogène bas carbone par électrolyse… ou l’extraire du sous-sol ?

Pour produire de l’hydrogène sans émettre de CO2, la technologie la plus développée aujourd’hui est l’électrolyse de l’eau, réalisée via un électrolyseur alimenté par de l’électricité bas-carbone. La technologie d’électrolyseurs la plus mature est celle des électrolyseurs alcalins. Mais ceux-ci ont deux inconvénients : leur utilisation n’est pas assez flexible pour répondre à des variations rapides de charges (inévitables quand ils sont alimentés par de l’éolien ou du PV) et ils sont lourds et volumineux. On leur préfère maintenant de plus en plus une technologie plus récente qui arrive à maturité : les électrolyseurs PEM (Proton Exchange Membrane). Ces électrolyseurs plus compacts, très flexibles, qui fonctionnent à des pressions jusqu’à 80 bars (ce qui permet de faire une partie du travail de compression avant utilisation) ont fait des progrès considérables ces dernières années. Même s’il reste des travaux de R&D importants pour améliorer cette technologie (augmentation de son rendement, baisse des coûts), sa maturité est suffisante pour que de grandes unités de production industrielle d’électrolyseurs PEM se mettent en place. Comme pour les usines de fabrication de batteries, on parle de Gigafactories. Dès mi-2021, la société américaine de solutions énergétiques Cummins Inc a annoncé qu’elle construirait une giga-usine d’électrolyseurs PEM d’une valeur de 50 millions d’euros en Espagne. Sa capacité sera dans un premier temps de 500 MW par an, avec des projets d’extension de l’installation à plus de 1 GW par an. Et début 2023, le géant américain Chemours a annoncé qu’il allait investir plus de 180 millions d’euros dans l’Oise pour construire une usine de production de membranes pour électrolyseurs PEM.

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Mais en parallèle, une rupture fondamentale est peut-être en train de naître sur le sujet de la production d’hydrogène : c’est l’exploitation d’hydrogène présent dans le sous-sol (appelé hydrogène naturel ou parfois hydrogène blanc ou gold hydrogen), qui se formerait en continu sous l’action de différents mécanismes naturels (voir encadré). Si l’existence de telles ressources naturelles est confirmée et qu’elles s’avèrent exploitables à un coût raisonnable, on serait alors en présence d’un véritable « game changer » pour la Transition Energétique, à une échelle locale voire même à l’échelle mondiale en fonction des quantités qui se révèleront exploitables industriellement. Sans être une solution miracle, cet hydrogène naturel pourrait constituer une nouvelle énergie propre qui se renouvèle en permanence, accessible par des technologies d’extraction matures bien maitrisées par les compagnies pétrolières et gazières.  Mais de nombreuses questions restent à élucider avant de pouvoir déterminer les potentialités réelles de cette nouvelle filière, et les travaux de R&D fondamentale et d’exploration concrète n’ont démarré de manière significative qu’il y a à peine 5 ans. De nombreuses avancées très prometteuses ont été obtenues récemment, mais on n’en est encore qu’au tout début de cette nouvelle aventure !

 

5.2. Les grandes infrastructures nécessaires au développement des marchés de l’hydrogène

Intéressons-nous maintenant aux maillons suivants de la chaine de valeur : le transport et le stockage d’hydrogène. Si on sait transporter et stocker l’hydrogène depuis des dizaines d’années à petite échelle, les choses se compliquent quand on parle de réseaux d’hydrogène transeuropéens et de grands stockages à l’échelle des réseaux, alors que de telles infrastructures seront nécessaires si on veut produire l’hydrogène décarboné dans les quantités attendues pour la Transition Energétique. Ces deux dernières années ont été marquées par le lancement de nombreux travaux de R&D et de démonstrateurs sur ces sujets : mise en chantier de premiers tronçons pour le projet de dorsale européenne de transport d’hydrogène (carte ci-dessous), lancement de projets de reconversion à l’hydrogène de réseaux de transport de gaz naturel  (projet MosaHYc de 117 M€ du français GRTGaz et de l’allemand CREOS pour convertir 70 km de réseau gaz existant en Moselle et Sarre, annoncé en décembre 2023), lancement par la société STORENGY du projet Hypster pour tester une technologie de stockage sous-terrain déjà utilisée pour les grands stockages stratégiques de gaz naturel : le stockage en cavités salines.

Carte du futur European Hydrogen Backbone (EHB) Horizon 2030

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L’hydrogène naturel

Jusqu’à récemment, on pensait que l’hydrogène gazeux n’existait pas en quantités significatives à l’état naturel sur Terre, car trop léger et trop réactif pour rester piégé pendant plusieurs centaines de milliers d’années dans le sous-sol. Mais cette certitude a été ébranlée avec la découverte fortuite d’un gisement d’hydrogène au Mali en 1987, par une entreprise qui cherchait de l’eau. Bien qu’à l’époque cela n’intéressait personne, l’entrepreneur s’est lancé dans un pari visionnaire : exploiter cet hydrogène. Pari réussi : depuis 2012 le village de Bourakébougou est alimenté par de l’électricité produite à partir de cet hydrogène.

Depuis, les scientifiques se sont demandé comment un tel gisement avait pu se former, et bien sûr, s’il en existait ailleurs. Et les premières réponses ouvrent des perspectives particulièrement intéressantes, même si plusieurs incertitudes de taille subsistent.

La clé de l’explication de la présence d’hydrogène en sous-sol est qu’il est produit naturellement de manière continue. Les mécanismes commencent à être élucidés et sont variés : oxydation par l’eau de roches contenant du fer, électrolyse spontanée en présence de radioactivité naturelle, ou production bactérienne.

Récemment, des émissions d’hydrogène naturel ont été découvertes un peu partout sur la planète. On en a trouvé dans les sources hydrothermales (géothermie), dans les chaînes de montagnes comme les Alpes et les Pyrénées ; on constate également des émanations dans les roches continentales riches en fer comme en Australie, en Namibie, au Brésil, et autour des mines d’uranium.

Cette énergie naturelle décarbonée et insoupçonnée pourrait-elle contribuer à la décarbonation que tout le monde appelle de ses vœux ? Pour répondre à cette question, il manque encore des connaissances clés sur les quantités accumulées en sous-sol et leur accessibilité. Pour apporter des éléments de réponse, il faudra d’abord mieux comprendre les mécanismes de formation, notamment les paramètres qui influent sur la vitesse de formation de l’hydrogène, mais également comment il peut s’accumuler en quantités significatives dans des configurations géologiques favorables et comment les détecter.

5.3. Les technologies permettant l’utilisation de l’hydrogène progressent en parallèle

Dans le domaine des utilisations de l’hydrogène, l’innovation progresse également, et elle est absolument indispensable pour rendre opérationnelle et économique l’utilisation d’hydrogène pour décarboner l’industrie et le transport terrestre lourd. Au-delà des coûts de production et de livraison de l’hydrogène lui-même qui dépendent des technologies évoquées plus haut, la compétitivité économique de ces nouvelles filières dépend également des performances et des coûts des équipements ou process fonctionnant à l’hydrogène.

Pour les transports terrestres, les perspectives de réduction des coûts de fabrication des véhicules à pile à combustible à hydrogène sont encore importantes, grâce à des innovations majeures : développement de nouvelles technologies de piles à combustible utilisant moins de matériaux rares et chers, développement de réservoirs d’hydrogène sous pression en matériaux composites moins chers et plus faciles à intégrer dans les véhicules. Sans oublier le retour possible des véhicules à hydrogène à moteur thermique, ce qui constitue une autre voie pour diminuer les surcoûts des véhicules neufs à hydrogène et envisager des kits de retrofit de camions diesel. Ainsi, l’industriel Safra, acteur de la rénovation des matériels de transport de personnes et Hyliko, plateforme de mobilité hydrogène pour le transport routier de marchandises, ont annoncé lors du dernier salon HYVOLUTION à Paris leur partenariat pour le rétrofit hydrogène de poids lourds en série. A noter que le constructeur BMW vient d’annoncer la sortie en 2025 d’une berline à moteur thermique à hydrogène.

Pour les transports non terrestres, l’hydrogène décarboné n’est pas pour tout de suite. Pour le transport maritime lourd, le surcoût de l’hydrogène est prohibitif, et les grands armateurs lui préféreront dans un premier temps le GNL, moins carboné que le fioul lourd utilisé actuellement. Et pour le transport aérien (gros porteurs, longs courriers), il ne faut pas attendre des avions à hydrogène liquide avant 2040-2045, même si Airbus a d’ores et déjà lancé un programme de R&D sur le sujet. Le problème est que l’hydrogène, même liquéfié, ayant une densité énergétique beaucoup plus faible que le kérosène (pour un contenu énergétique équivalent à 1 m3 de kérosène, il faut 4 m3 d’hydrogène liquide), c’est toute la structure de l’avion qu’il faut revoir. La voie de l’incorporation progressive de kérosène de synthèse bas-carbone (SAF, produit à partir d’hydrogène décarboné) parait plus à portée de main, car elle ne nécessite pas de modification importante des avions. En attendant, on voit apparaitre des innovations sur le marché de niche des avions d’affaires, avec par exemple l’entreprise suisse Sirius Aviation.

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Concernant les applications de l’hydrogène pour décarboner l’industrie, l’utilisation d’hydrogène bas carbone comme matière première (pour les engrais, la sidérurgie, certains textiles…etc…) en substitution d’hydrogène gris (manufacturé à partir d’énergies fossiles en produisant de grandes quantités de CO2) ne pose aucun problème technique puisqu’il s’agit de la même molécule H2. Le seul obstacle est actuellement la disponibilité des quantités nécessaires d’hydrogène bas carbone et son coût. En revanche, les applications nouvelles de l’hydrogène pour décarboner l’industrie lourde nécessitent encore la réalisation de pilotes à l’échelle industrielle. C’est le cas de la technologie de réduction du minerai de fer par l’hydrogène (Direct reduction of Iron, DRI) qui permet de transformer le minerai (oxyde de fer) en fer métallique en utilisant de l’hydrogène au lieu du coke, sans émettre de CO2. Arcelor Mittal fait partie des sidérurgistes fortement engagés dans cette voie de décarbonation, avec déjà plus de 10 unités de DRI dans le monde, y compris la seule unité opérationnelle d’Europe. En France, le sidérurgiste prévoit de construire une unité DRI à Dunkerque, d’une capacité annuelle de 2,5 millions de tonnes, pour transformer le minerai de fer avec à terme de l’hydrogène, sans recourir au charbon. Ces nouveaux équipements industriels seront opérationnels à compter de 2027 et remplaceront progressivement d’ici 2030 deux hauts-fourneaux sur les trois actuels d’ArcelorMittal à Dunkerque.

6. Le CCUS : un redémarrage spectaculaire des grands projets en Europe

Le marché de la capture et du stockage souterrain du C02 (CCS) a fortement évolué lui aussi ces dernières années. Après une période où les coûts étaient prohibitifs et l’acceptation sociale des grands stockages souterrains représentaient un obstacle insurmontable, les perspectives de développement de ce marché reprennent aujourd’hui des couleurs devant le constat de plus en plus clair de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) et de l’Union Européenne que les objectifs de l’accord de Paris ne seront pas atteints sans cette solution. Car même si une décarbonation quasi-totale est possible à terme dans un grand nombre de secteurs d’activité, il restera toujours des cas où les émissions de CO2 ne pourront pas être annulées (industrie du ciment, des engrais…). Sur ces secteurs, les seules solutions seront alors la capture et la séquestration à long terme du CO2, ou la compensation des émissions par d’autres types de puits de carbone.

D’où un redémarrage des travaux sur le sujet, avec un nombre croissant de projets pilotes de grandes installations industrielles, dans des zones géographiques où le stockage en sous-sol est envisageable (sous la mer, dans d’anciens gisement de gaz ou pétrole déplétés…). En Europe, ce n’est pas moins de 71 projets d’infrastructures et de shipping CO2 qui sont recensés en 2023, dont 18 projets d’intérêt commun (PIC) déposés en décembre 2022.

Si les solutions technologiques pour capturer le CO2 en aval des process industriels évoluent peu (capture aux amines) malgré différents travaux de R&D pour en diminuer le coût énergétique, la conception de la chaine complète allant de la capture jusqu’à l’enfouissement, en passant par le transport et le stockage du CO2, fait l’objet d’une nouvelle approche que l’on peut qualifier d’innovante par la manière d’aborder le problème de manière globale. Il s’agit de collecter le CO2 capté dans différents sites industriels via des grands réseaux de transport, pour le faire converger vers un ou plusieurs terminaux portuaires spécialement aménagés. Le CO2 serait ensuite transporté par bateaux ou par canalisation sous-marine vers un site d’enfouissement profond offshore.

C’est exactement le schéma retenu par le projet Northern Lights le long des côtes norvégiennes (TotalEnergies, Equinor et Shell). Ce projet de transport et stockage de CO2 à grande échelle a été approuvé par l’État norvégien en 2020 et désigné comme un projet d’intérêt commun (PIC1) par l’Union Européenne. En décembre 2022, Northern Lights a réceptionné les sept premiers des douze réservoirs destinés au stockage temporaire du CO2 à terre. Les opérations de forage des puits en offshore se sont elles aussi terminées récemment et la construction des futurs navires est lancée. Le début des opérations de captage et stockage de carbone est prévu dès 2024. Northern Lights constitue le premier projet de création d’une chaîne de valeur transfrontalière destinée à offrir aux industriels européens la possibilité de séquestrer leurs émissions de CO2 de manière permanente sous terre. Les installations de la première phase du projet permettront de stocker jusqu’à 1,5 million de tonnes de CO2 par an, avant d’être étendues à 5 millions de tonnes d’ici 2026.

7. Synthèse et conclusion

A travers ce panorama, on voit à quel point les avancées technologiques des 12 ou 24 mois sont nombreuses et rapides : des cellules PV bon marché à 30% de rendement paraissent aujourd’hui à portée de main ; l’emprise au sol des éoliennes continue à se réduire et elles vont devenir 100% recyclables ; les technologies de batteries Li-Ion, Li-Soufre et Sodium-Ion s’améliorent, avec une densité énergétique qui progresse rapidement ; l’état de l’art des technologies de l’hydrogène bas-carbone permet d’engager d’ores et déjà la construction des premières briques des grandes infrastructures qui seront nécessaires à son déploiement massif ; et la vision de la chaine de valeur complète de la capture, du transport et du stockage du CO2 se précise et donne lieu à des premiers pilotes à l’échelle européenne. En parallèle, le regain d’intérêt sur les petits réacteurs nucléaires modulaires et les toutes dernières avancées sur la recherche de gisements exploitables d’hydrogène naturel laissent entrevoir des perspectives à plus long terme très prometteuses.

Ce panorama est loin d’être exhaustif, car de nombreux autres sujets sont susceptibles d’apporter à court et moyen termes d’autres nouveaux leviers pour décarboner nos économies, comme les applications de l’IA au service de l’efficacité énergétique ou de la détection des fuites de méthane, ou encore les nouvelles technologies de production de biométhane, ou l’usage de nouveaux matériaux pour décarboner l’industrie du ciment…

A noter que nous avons choisi de ne pas aborder deux sujets majeurs en filigrane de toutes les évolutions technologiques : celui des matières premières nécessaires, et le sujet clé de l’acceptabilité sociale des innovations en cours d’émergence. Ces thèmes méritent des développements spécifiques.

En conclusion, ce qui ressort de ce tour d’horizon, c’est à quel point les solutions pour la Transition Energétique évoluent rapidement sous l’impulsion d’une mobilisation sans précédent des acteurs publics et privés et des messages de plus en plus clairs sur l’urgence d’agir portés par le GIEC et l’Agence Internationale de l’Energie (AIE). Il est crucial que tous les acteurs concernés – industriels, chercheurs, financiers, politiques, législateurs… – travaillent de concert pour faire aboutir les solutions innovantes qui permettront d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris, en acceptant les risques inhérents à l’innovation. Car la stratégie la plus risquée pour tout le monde serait de ne pas innover.